«C'est de la Séquanie qu'arrivent sur le marché de Rome les meilleures salaisons», relate Varron au tout début de notre aire car le sel de Salins est déjà utilisé depuis
des millénaires.
César nous dira : «l'homme peut vivre sans or, mais il ne peut pas vivre sans sel».
Cet or blanc constitue la véritable source de toutes les installations humaines successives localement mais il va de paire avec l'exploitation forestière.
Vers la flèche du plateau forestier de Coulans, la ruine d'une ancienne bâtisse et
ses chemins d'accès bordés de murets attestent encore de l'implantation d'un groupe de forestiers sédentaires car les salines dévorent plus de 10 000 tonnes de bois chaque année..
La saunerie de Salins délimitait des parcelles d'exploitation du bois (fassures) où l'exploitant forestier (le fasseur) réglementait les coupes de son groupe de bûcherons.
La bûche (fassine) doit être de la grosseur du bras et longue de 90 cm, on coupe les bois plus fins en bout de 1,80m (chevasses), on coupe à blanc...
Le fagot calibré (fassin) se construit autour d'une pique pour facilité son transport.
Une voiture de 40 fassins de 25 fassines se paie 2 sols et 3 deniers à l'entrée des salines pour un particulier mais seulement 15 deniers pour les bois de fassures.
Comme le transport est non-compris dans le prix, pour le charretier de Coulans c'est pareil...
Les coulanais maîtrisent toutes ces techniques et signent des marchés comme celui d'Alaise où le 31 mars 1527 un contrat de deux ans portant sur deux cent mille fassins et chevasses livrés à Salins sera signé !
Ainsi nombre de paysans propriétaires d'animaux de trait, attelages et chariots
assurent le transport du bois aux salines par d'incessants convois qui détériorent
les routes plus vite que les salines ne peuvent les entretenir.
Les charretiers ont un droit de pâture pendant le chargement, on retrouve aujourd'hui au bois du Curon les traces d'un ancien champs clos.
Si les habitants des alentours sont contraints (chaque paysan ayant char et attelage doit deux à quatre charrois-corvées par an) , la rémunération reste intéressante.
Lors des travaux aux champs, le prix du bois se met à doubler à cause du manque de charretiers, (le charroi mobilise 228 chariots et 588 chevaux en 1573).
Salins interdit l'existence de toute autre usine consommatrice de bois à proximité de la ville.
Dans l'autre sens, chaque village recevait des salines leur sel d'ordinaire pris parmi
les 7500 tonnes produites par an.
Un charretier désigné descendait à Salins présenter son billet de mission pour acheter le sel dont le prix était fonction de la distance parcourue.
Douze pains de sel (salignons) sont empilés entre deux montants de bois pris dans
une tresse de baguettes de tilleul et forment ainsi une bénate.
De chaque côté du bât d'un cheval ou d'un mulet on fixe deux bénates, soit 48 salignons au total pour 65 kg de charge encombrante et fragile.
Le sel en grains (exclusivement pour la Suisse) se conditionne en tonneaux.
Il revenait au village avec un nouveau billet stipulant la quantité rapportée, la comparaison des deux billets permettait de s'assurer de son honnêteté pour lui fixer d'autres missions.
Sur les chemins, les chariots de bois croisaient les troupes d'ânes et leurs
charrettes de sel.
En 1650, c'est 6500 chevaux ( soit plus de 100000 voitures de bois par ans ! )
et 320 mulets qui circulent...
«Nous eûmes mille maux de passer à travers les troupes d'ânes qui, à chaque pas, obstruaient le chemin. Plusieurs fois même, il fallut nous blottir dans quelques enfoncements hors de la route, pour laisser défiler ces singuliers escadrons, dont
quelques-uns comptaient 80 oreilles et des plus longues. Les gens condamnés à voiturer tout le bois nécessaire aux salines se vengent en encombrant avec leurs charrettes toutes les voies qui y conduisent (1667).»
Pour son commerce, les chemins sauniers sont surveillés et obligatoires.
Les écussons d'argent aux armes du duc ornent les vêtements des forestiers qui en plus d'un salaire de 100 sols (estevenants de l’archevêché bisontin) s'ajoute une part des amendes qu'ils distribuent.
Ils sont craints, très durs et forcent les maisons si besoin ...
Le cadastre actuel de la commune de Salins montre encore aujourd'hui ses voies protégées qui lui donne cette forme tentaculaire.
Ces commerces profitent aux voituriers, muletiers ainsi qu'à l'aubergiste de Coulans placé sur l'itinéraire bis...
Le prix du sel augmente le long du trajet à chacun des péages voués aux seigneurs correspondants aux lieux traversés.
Ces péages, comme celui du pont de Nans, permettent aussi de pister le marchand
et surtaxer le sel étranger.
La fraude et la contrebande comtoises sont légion, la valeur du sel attire sur les chemins des groupes de bandits armés.
L'Edit royal de 1703 déclare ''faux-sel'' tous les sels autres que celui de Salins.
Mais les faux-sauniers agissent en bande organisées militairement.
En 1754 on signale à la frontière, une bande de plus de 80 bandits armés de mousquets et traînant trois fauconneaux (des canons!).
Les contrebandiers importent du sel de mer via la Suisse et bénéficient surtout du soutien des populations locales qui trouvent intérêt à frauder l'impôt.
Les chefs de bandes avaient l'air de vrais seigneurs armés et montés, le plus petit service rendu à leur coupables activités était récompensé généreusement...
Les villageois ignorent donc officiellement leur planque (quand ce n'est pas une discrète hospitalité) et commercent en réalité avec eux ...
Les circuits liés aux vols s'organisent depuis l'enceinte même des salines qui sont pourtant dotées d'une prison où le récidiviste est marqué GAL au fer rouge avant son envoi aux galères.
Le sel de Salins fut pour Coulans sa richesse et sa misère...
«C'est à Salins qu'on fabrique, pour nos usages de tous les jours, ce sel condensé par le feu, d'une blancheur éclatante, et qui, emporté par d'immenses chariots, dans les pays lointains, constitue le plus beau revenu pour notre Bourgogne»
(Gilbert Cousin 1552).
ruines actuelles
La fassure.